Lord Esperanza © Jason Piekar

Avec son album “Phoenix” sorti en 2023, et un nouvel EP prévu pour l’été 2024, Lord Esperanza poursuit sa trajectoire atypique dans la musique, entre rap et pop, cultivant sa plume hors pair, son hypersensibilité et ses rêves d’un monde plus juste.

“La vraie grandeur c’est d’être supérieur à celui qu’tu fus jadis”. Si le dernier livre de développement personnel dans lequel vous avez investi vous sert en réalité de cale porte, on vous conseille d’écouter Lord Esperanza. Celui qui s’imagine la face du monde si Mozart avait été noir dans un featuring avec Médine intitulé “Black Amadeus”, livrait en avril dernier, “Phoenix”, un album plus abouti et lyrique que jamais dont il s’apprête à partager très prochainement une captation live prévue au Trianon à Paris. Théodore Desprez, aka Lord Esperanza, a commencé à écrire des vers à l’âge où la plupart du commun des mortels apprend encore à faire ses lacets. Passionné de littérature et biberonné à Sexion d’assaut, ses premiers sons à l’influence plutôt trap, mettaient à l’amende les politiciens et confrontaient l’humain à ses contradictions. “L’être humain s’auto-détruit et trouve le temps de s’en vanter”, écrivait-il à 21 ans dans son morceau “L’insolence des élus”, qui cumule désormais 2 millions de vues sur Youtube. Quelques collaborations en tant que parolier avec des artistes comme Yseult, une marque de mode, et quatre EP perso plus tard, Lord Esperanza continue de promener son spleen et son regard désabusé sur le monde avec justesse et élégance. Rencontre avec un artiste entier et déterminé à contribuer à faire tourner le monde dans le bon sens.

© Nathan Saillet

MIXTE. Tu as sorti ton 2ème album “Phoenix” l’année dernière. À 27 ans aujourd’hui, quel regard portes-tu sur ta jeune carrière ?
Lord Esperanza. Je pense qu’il est essentiel d’être bienveillant envers les autres mais aussi avant tout envers soi-même. S’il m’arrive de rougir de mes débuts, j’essaye de porter un regard bienveillant sur ma carrière et l’évolution de ma musique. J’ai commencé avec des sons très rap, voire même trap, pour aller vers quelque chose de plus hybride entre le rap, la chanson et la pop. Bien sûr, j’aurais aimé débarquer dans la musique avec un album abouti et mature comme “Phoenix”, mais c’est aussi la somme de mes projets précédents.

M. Selon toi, qu’est-ce qui t’a fait prendre cette trajectoire vers la pop ?
L.E. Quand j’ai commencé le rap, j’ai toujours eu la conviction que je n’en ferai pas éternellement. Je voyais cela comme une porte d’entrée et j’ai été attiré par ce style car j’aime avant tout les mots, les allitérations, les rimes… Mais pour moi le rap appartient malgré tout à une culture plutôt “jeune” et je sens que j’ai de plus en plus envie d’évoluer vers d’autres choses. Grâce à “Phoenix”, j’ai été contacté pour d’autres projets, on m’a par exemple proposé de créer de la musique pour des films. Ce sont de nouveaux projets qui m’excitent, qui me permettent de me renouveler et je sens que j’en ai besoin.

M. Tu as commencé à écrire de la poésie à 11 ans. Qu’est-ce qui t’a poussé à faire de la musique plutôt qu’autre chose ?
L.E. Je pense que faire de la musique répondait à plusieurs besoins chez moi, notamment celui d’être reconnu. Il y a forcément quelque chose d’un peu névrotique dans le fait de vouloir monter sur une scène pour être applaudi par un public. Ce qui ne veut pas dire pour autant que c’est forcément malsain. Ma génération a aussi été bercée par des rappeurs comme Sexion d’Assaut ou Nekfeu, qui ont refait la part belle aux mots et aux textes. Si je résume, je pense que faire de la musique a été à la fois le fruit d’une passion et des inspirations de ma génération et de quelque chose de plus fort qui brûlait en moi, qui répondait à ce besoin de reconnaissance que j’avais.

M. Penses-tu que les artistes ont le pouvoir de donner accès à l’évasion ?
L.E. La chanteuse Zaho de Sagazan a dit lors des dernières Victoires de la Musique que “être sensible c’est être vivant, et que les artistes sont tous des êtres sensibles”. Je trouve ça très beau et surtout très juste. Je vois l’artiste comme celui qui traduit des émotions, de la joie au rire, en passant par la mélancolie. Romain Gary écrivait “Je me suis toujours été un autre”. Le cinéma, la littérature, la musique sont des mediums qui permettent d’atteindre d’autres univers et de caresser d’autres existences. En cela, je pense que oui, l’artiste a le pouvoir de procurer de l’évasion. J’ai du mal à imaginer un monde sans art, je pense qu’on deviendrait tous fous.

M. Tu n’hésites pas à cultiver ta vulnérabilité dans tes textes. Tu parles de santé mentale, d’hypersensibilité, notamment dans “Les Hommes pleurent”, de solitude et même de la mort. Qu’est-ce qui t’a poussé à t’exprimer sur ces sujets-là ?
L.E. Dans le rap, il est beaucoup question d’egotrip. Il s’agit de montrer que c’est toi le meilleur. À mes débuts, je pense que j’ai eu tendance à tomber un peu dans ces codes là, et puis je me suis rendu compte que c’était assez puéril et un peu faible en termes de partage social émotionnel ! Il y a eu aussi les expériences de la vie, les deuils, les ruptures, les désillusions et l’envie de parler de tout ça de manière sincère. Je pense aussi qu’il y a un vrai bienfait psychanalytique sur le fait de parler à haute voix de nos angoisses. Évidemment, ça ne s’arrête pas là et ça demande une vraie rigueur d’affronter ce qu’il y a de moche en nous, mais l’écrire et le dire c’est déjà une première étape fondamentale. La solitude, les angoisses, la mort, ce sont des sujets qui nous concernent tous et je pense que c’est sain d’en parler plutôt que de se le cacher.

M. Tu as explosé sur Youtube avec ton morceau “L’insolence des élus”, où tu dénonces la société de consommation, la corruption et l’hypocrisie des politiciens. Pourquoi as-tu eu envie, à 21 ans, de régler tes comptes ?
L.E. Ce morceau, c’était le fruit d’une frustration, une vraie désillusion générationnelle vis-à-vis de ceux qui nous gouvernent. Dans “Insolence” il y a quelque chose d’un peu enfantin, on dirait plutôt d’un enfant qu’il est insolent que d’un adulte. J’ai le sentiment qu’on est face à un tel mépris social venant de ces gens-là… Je voulais souligner leur médiocrité, car même si eux ont accès aux moyens de faire changer les choses, au final ils ne le font pas car ils n’ont pas les capacités intellectuelles et les qualités humaines adéquates. Quand je regarde le monde aujourd’hui, j’ai l’impression que c’est l’argent qui domine et non l’Humain. Une société comme Total est devenue plus puissante que le Président de la République.

M. Le rap a toujours été un bon terreau pour détecter les signaux faibles dans la société. Qu’est-ce que tu perçois actuellement ?
L.E. Des sons rap gangsta qui cartonnent en ce moment, je perçois l’hyper glamourisation du banditisme. Quand t’y réfléchis, c’est quand même du délire que des artistes fassent des millions de streams sur des sons qui prônent des choses comme la vente d’armes, la drogue, l’hypersexualisation des femmes etc. C’est au-delà de la violence, c’est carrément de la folie quand tu as conscience que des personnes meurent de ces mêmes choses tous les jours. Tu rajoutes un peu de Cyril Hanouna et d’abrutissement aux réseaux sociaux et tu as le cocktail explosif pour une société qui fonce droit dans le mur.

M. Qu’est-ce qu’être féministe pour un homme selon toi ?
L.E. Je ne pense pas qu’il y ait une définition du féminisme différente pour un genre ou l’autre. Être féministe, c’est vouloir faire sauter les inégalités entre les hommes et les femmes et vouloir détruire tous les concepts archaïques hérités du patriarcat. Être féministe, c’est considérer la femme comme un être à part entière, sans essayer de la chosifier, la rabaisser ou la contrôler de quelque manière que ce soit.

M. J’imagine que ça doit être compliqué pour toi d’évoluer dans un milieu sexiste comme celui du rap en ayant ces convictions là …
L.E. Je ne pense plus être dans le rap. Je me suis éloigné de ce milieu car je ne me sentais justement plus aligné avec mes valeurs. J’aime toujours une certaine idée du rap et je pense aussi qu’il est essentiel de comprendre pourquoi le rap nous parle de violence. Il faut connaître notre histoire collective et avoir conscience qu’après la seconde guerre mondiale, il y a eu des vagues d’immigration pour aider à reconstruire la France, que ces personnes là ont été parquées dans des barres d’immeubles, qu’elles n’ont pas eu les mêmes opportunités sociales et qu’aujourd’hui ceux qui se sont extirpés de cela par la musique ou le sport ont des choses à revendiquer. Je pense que tout est systémique, ces rappeurs-là ne se sont pas réveillés un jour en se disant que les armes et la drogue c’était génial.

© Axel Joseph

M. Est-ce que tu penses que le milieu du rap est malgré tout moins sexiste qu’il y a quelques années ?
L.E. Oui, on voit les conséquences du mouvement #MeToo dans l’industrie de la musique et donc aussi du rap. Il y a plus de rappeuses, de directrices de label, de réalisatrices de clip qu’avant. Mais pour ce qui est des textes, il reste beaucoup de choses à déconstruire. Les mecs qui vendent le plus de disques restent ceux qui considèrent les femmes comme des objets sexuels dans leurs textes. Je pense qu’il y a encore beaucoup de choses qui bloquent, notamment le fait que les agresseurs sexuels restent impunis.

M. Tu as aussi une marque de vêtement du même nom que ton label, Paramour. Quel est ton rapport à la mode ?
L.E. J’ai créé Paramour il y a 3 ans, nous sommes dans une démarche éthique, tous nos vêtements sont fabriqués au Portugal. J’ai toujours aimé les vêtements et l’univers de créateurs comme Alexander McQueen et la manière dont il théâtralisait chacun de ses défilés. En France, j’aime beaucoup le travail de jeunes créateurs Benjamin Benmoyal, qui redouble de créativité et d’engagement envers la planète dans chacune de ses collections.

L’album “Phoenix” est disponible en ligne sur lordesperanza.com et sur toutes les plateformes.