M. En parlant de désir, il n’est pas fréquent au cinéma qu’il soit représenté par le female gaze. Vous qui avez été filmé comme un objet de désir par une femme, avez-vous le sentiment que cette situation évolue ?
P-Y. C. Je pense que les hommes ont placé la femme dans une situation extrêmement contraignante et aujourd’hui, les femmes s’en plaignent à raison. Ça ne fait pas si longtemps que ce message féministe parvient aux oreilles de la majorité des hommes et il y a beaucoup de gens dans les médias qui ne montrent aucune ouverture, qui sont contre-révolutionnaires. Je trouve ça vraiment triste, quand j’entends des hommes réactionnaires qui veulent conserver cet espèce de statu quo, ça creuse une vieille réalité. Je suis vraiment heureux que de plus en plus de femmes expriment leur vision des choses, comment elles aimeraient être perçues et pas nécessairement comme des objets de désir.
Quand Monia crée le personnage de Sylvain, elle n’a pas créé un être unidimensionnel, qui n’a pas de réflexion. Il a ses problèmes, trimballe son bagage, il n’est pas fier de tout son passé. Si on le compare avec la femme objet de désir, qui est représentée par l’homme au cinéma depuis tellement longtemps, c’est souvent une femme qui n’a pas d’histoire, qui n’a pas d’intention. Elle ne prend pas les décisions, elle est souvent sauvée par l’homme. Que les femmes s’expriment, je trouve ça fascinant et ça donne aux hommes enfin une fenêtre sur leur point de vue et sur les vrais fantasmes des femmes, sexuels mais aussi intellectuels.
M. Comment peut-on dégommer ces clichés ?
P-Y. C. C’est pareil dans les contes pour enfants. J’ai deux filles et quand je leur lisais des histoires quand elles étaient petites, j’avais envie d’arrêter ma lecture. Y’a des fables qu’on ne remettait pas en question alors qu’elles ont impact profond sur la construction, sur la quête que ça prescrit dans la vie de quelqu’un. C’est quoi tes aspirations à partir du moment où on te lit un conte où une princesse est lasse de ses journées, s’ennuie, espère mieux mais ne fais rien pour arranger les choses et finit par se faire secourir par un mec qui lui règle tous ses problèmes… Qu’est-ce que ça inscrit comme rêve ? “Arrange toi bien, sois belle et gentille”.
M. Sylvain est un personnage complexe qui cumule de nombreuses couches émotionnelles. Que pensez-vous de la représentation de la masculinité au cinéma ?
P-Y. C. Pourquoi certains qualificatifs appartiendraient à un seul genre ? Par exemple, la combativité serait un caractère masculin. Et pourquoi un homme doux et empathique aurait une “belle féminité”. C’est ça le piège. Il faut se détacher des étiquettes qui sont accolées aux femmes ou aux hommes et se permettre différentes choses. Il faut que les hommes arrêtent d’associer leur “masculinité” à certains qualificatifs notamment de force et de courage. Il faut en finir avec toutes ces espèces de pièges à la con et s’ouvrir à d’autres possibilités. On l’a vu dans le sport, il n’y a absolument aucune corrélation entre le sexe et la performance. C’est une fabrication des hommes, principalement du siècle dernier où l’on a voulu cantonner la femme à une certaine position et se donner le pouvoir. Heureusement c’est en train de changer.
Chez Sylvain, il y a une certaine forme de violence. Il n’a pas réglé tous ses problèmes, c’est assez évident. Par contre je pense qu’il est féministe sans le savoir. Il n’est pas fermé à la discussion, ni à ces questions-là sur les rapports hommes-femmes. C’est quelqu’un de très attentionné pour sa blonde, il la place sur un piédestal et la voit comme une fenêtre sur un monde auquel il n’avait pas accès, celui de la connaissance, des voyages. Il ne l’aime pas juste parce qu’elle est belle. Dans ce sens-là, Sylvain est un féministe qui s’ignore même si parfois il a un comportement toxique, un peu jaloux. Je pense que Monia ne voulait pas en faire un être parfait. Malgré sa rusticité, il est plus moderne que la plupart des mecs.
M. “Simple comme Sylvain” a été présenté à Cannes dans la catégorie Premiers Regards, nommé aux Césars dans de nombreuses catégories, aviez-vous le sentiment que ce film allait toucher le public et la critique à ce point ?
P-Y. C. On ne peut jamais savoir, il y a tellement d’étapes dans une création où les choses peuvent mal tourner même si dès la lecture du scénario, j’ai eu un très bon feeling. J’ai vu le film pour la première fois à Cannes et j’ai été sur le cul, j’ai pas d’autres expressions. C’est tellement plaisant à regarder que, tout en faisant réfléchir, les dialogues trouvent leur sens à travers tout ça. J’avais l’intuition qu’on avait un bon projet entre les mains et j’en parlais souvent avec Magalie (sa partenaire dans le film, ndlr). C’était très inspirant pour moi d’être entouré de ces deux femmes-là car elles ont une réflexion sur leur art et comment il s’inscrit dans la société.
M. Quelle relation entretenez-vous avec la mode ?
P-Y. C. J’adore la mode ! Je suis comme on dit chez nous, une guidoune, c’est quelqu’un qui aime beaucoup se montrer dans ses plus beaux atours, être un coquet. À 80% du temps je m’habille en jean et tee-shirt mais dès que j’ai une occasion de porter de beaux vêtements, j’adore ça. Quand j’étais jeune, ma tante avait une compagnie de défilés de mode, l’une des deux plus grosses au Québec. Son business roulait et elle demandait à mes cousins et moi de défiler, on portait le dernier linge à la mode alors qu’on était très jeunes. Ça a été l’une de mes premières expériences sur scène et c’est sûr que ça a joué dans ma tête. J’adore mettre du beau linge et j’aime aussi quand c’est funky et qu’on repousse les limites.