Militer pour le sein libre
En 2020, le confinement n’a pas eu que des mauvais effets : pour beaucoup, il a été synonyme de “no bra”. Si abandonner le soutien-gorge était déjà le plan de vagues féministes précédentes, le fait de rester à domicile a permis à beaucoup de personnes de sauter le pas, même parmi les célébrités comme Gillian Anderson ou Roxane Gay. Depuis, le mouvement s’intensifie, comme en témoigne la sortie d’un livre sur le sujet (No Bra, de Gala Avanzi, éd. Flammarion) ou encore les derniers chiffres de l’IFOP qui montrent que 18 % des femmes de moins de 25 ans ne portent jamais de soutien-gorge. Le no bra, outil de reconquête de son propre corps ? Si, pour certaines, la question du confort prime, pour d’autres, il s’agit surtout de sortir le sein des injonctions sociétales et de l’objectivation patriarcale qui imposent le port de lingerie, toujours dans un biais d’hypersexualisation de la poitrine. Car le buste nu est évidemment un vecteur de lutte : récemment, autour des années 2010, le sein nu s’est imposé comme objet contestataire dans l’espace public, que ce soit avec les Femen dès 2008 ou encore à partir de 2012 avec le mouvement #FreeTheNipple. Toutes ces évolutions sociétales ont forcément infusé dans les mentalités et même jusque dans le monde de la nuit. Depuis plusieurs années, le collectif Soeurs Malsaines milite pour la “République du Boobs Libre”, où chacun.e peut danser buste nu, dans le respect et la bienveillance (et sans photos). Le collectif précise : “On a toujours voulu que la fête soit un espace d’émancipation des corps et des esprits. La République du Boobs Libre est notre emblème : on veut changer les esprits en montrant les corps. Parce que l’égalité (des genres, des corps, de tous.tes) passe par des choses aussi simples que d’avoir le même droit de le couvrir ou le découvrir.” Et dans un contexte post #MeToo, est-ce qu’un changement de perception a eu lieu ? “#MeToo est un mouvement de lame de fond assez révolutionnaire, dont on ne perçoit pas encore aujourd’hui toutes les implications. La libération des paroles fait prendre conscience au plus grand nombre des mécaniques de culture du viol, dont la sexualisation et l’objectivation des corps des femmes font partie. On ressent de moins en moins d’interrogations ou de regards gênés ou étonnés durant nos événements. En dehors, on voit également de plus en plus souvent des femmes torses nues en soirée. En plus, maintenant on a moins besoin d’expliquer ce simple principe d’égalité dans les nouveaux lieux qu’on exploite. Les choses ont déjà évolué en quelques années, maintenant il reste à faire en sorte que les hommes arrêtent de violer et d’agresser.” Et en effet, les seins “libres” sont tristement liés à la culture du viol : d’après un autre chiffre de l’Ifop, pour 48 % des répondants, une femme qui ne porte pas de soutien-gorge prend le risque d’être agressée ou harcelée. Alors, en attendant un hypothétique et salutaire changement de mentalités, en 2022, la seule injonction tolérable, c’est justement de n’en tolérer aucune.