Depuis son studio de Londres, le créateur d’origine hongkongaise Robert Wun façonne la mode du futur avec des silhouettes inspirées par la nature, à mi-chemin entre Matrix, l’année 3000 et un manuel de SVT. Et si ce digne héritier d’Alexander McQueen avait tout compris de la mode du futur ?

Si là, tout de suite, on vous demandait de choper un crayon, du papier, et d’imaginer la robe du futur, qu’est-ce que vous dessineriez ? Un fourreau avec visière et test PCR intégré ? Une crinoline imprimée en 3D ? Un truc s’approchant à quelques détails près de la robe Balmain que portait Kim
Kardashian en 2016 sur le tapis rouge du Met Gala (mi-Robocop, mi-Jessica Rabbit) ? Robert Wun, lui, vous dessinerait probablement une orchidée. Diplômé en 2012 du London College of Fashion, le designer, dont les créations sont souvent comparées à celles d’Alexander McQueen tant la coupe en est soignée, est un passionné de nature avant d’être fan de mode : enfant, il pouvait passer des heures sur la construction d’un vivarium à destination de ses animaux exotiques – caméléons, pythons, salamandres, grenouilles, tortues –, qu’il voulait le plus proche de leur habitat naturel (au point de concevoir lui-même un système de cascade artificielle). 

Aujourd’hui, cette marotte ne l’a pas quitté (il collectionne toujours les numéros de National Geographic et conserve dans sa chambre pas loin d’une centaine de bouquins consacrés à la nature), mais c’est désormais à la mode que le créateur d’à peine 30 ans applique sa fascination pour le vivant, architecte suprême dont il s’efforce de reproduire les mutations. Ce n’est donc pas un hasard si les plissés de ses robes, les manches ballon de ses vestes, ou les fronces en accordéon de ses jupes rappellent à vos souvenirs la délicatesse d’une rose de porcelaine ou la complexité d’une passiflore. Pour sa collection Printemps-Été 2021, conçue au début de la pandémie de Covid-19, le designer a ainsi puisé son inspiration directement dans la vitrine d’un fleuriste voisin de son studio, comme il l’explique à Mixte via Zoom : “Londres était en lockdown, toutes les boutiques étaient fermées, et je voyais ces fleurs et ces plantes mourir en bas de chez moi, ces feuilles et ces pétales se recroqueviller sur eux-mêmes. Je me suis dit : ‘faisons une collection sur la décomposition, sur la façon dont les couleurs et les textures parlent différemment quand elles meurent’.”

En plus de librement explorer sa passion pour les végétaux, Robert a, depuis la création de son label en 2014, eu l’occasion de voir ses pièces portées par Solange, Céline Dion, Lady Gaga, Anya Taylor-Joy, Tessa Thompson, Cardi B (dans le clip de “Money”) ou encore Róisín Murphy (pour une performance sur la BBC, en décembre dernier), de dessiner les tenues d’un spectacle du Royal Ballet de Londres (Meta, chorégraphié par Charlotte Edmonds en 2016), mais aussi de contribuer à la création des costumes d’Effie Trinket (hôtesse fantasque du District 12 de Panem, jouée par Elizabeth Banks) dans le dernier volet de la saga dystopique Hunger Games: Mockingjay Part. 2, sorti en 2015. Un job tombé à point nommé pour cet obsédé du futur, qui cite régulièrement les personnages féminins des films des sœurs Wachowski (Matrix, Cloud Atlas) ou de Ridley Scott (Alien, Blade Runner) lorsqu’on lui pose la question de ses inspirations. Car c’est bien là tout l’enjeu de la mode de Robert Wun : puiser dans le naturel pour créer des silhouettes surnaturelles, et concevoir un ensemble qui pourrait parfaitement être porté par Trinity (à qui les pièces en cuir de l’Automne-Hiver 2019 faisaient d’ailleurs directement référence) dans Matrix mais incorpore en même temps des éléments empruntés à un pétale, une tige ou une feuille. “Ce que j’adore dans les films de science-fiction, c’est cette capacité qu’ils ont à transposer les problèmes philosophiques que nous rencontrons tous les jours dans un contexte inimaginable pour mieux les aborder. Les films qui parlent d’intelligence artificielle, par exemple, sont un moyen de traiter le désir, l’ambition, ce qu’il peut y avoir de pire dans la nature humaine : notre volonté de devenir Dieu.” Pour le designer, les fringues pourraient d’ailleurs jouer un rôle similaire : “En designant des pièces qui permettent d’oublier l’espace d’un instant que l’on vit dans une société violente et traumatisante, qui transforment momentanément la personne qui les porte et changent la perception qu’elle a d’elle-même, j’ai parfois l’impression de créer de la même manière.” Autre élément au cœur du travail de Robert Wun : une détermination à se libérer du “Western gaze” porté sur la culture et la mode asiatiques, et un rejet des poncifs forcément associés à ce continent par des commentateurs occidentaux en mal de folklore et “d’exotisme” (les baguettes, les dragons, le recours systématique aux idéogrammes, les qipaos en soie…vous voyez le délire). 

À ce sujet, il explique d’ailleurs avoir essuyé bon nombre de micro-agressions à ses débuts : “À un moment, c’était devenu presque impossible de trouver quelqu’un dans le milieu de la mode, à Londres, qui se fichait de savoir d’où je venais, que mon héritage n’intéressait pas. Des figures très influentes du secteur, le genre de personnes qui détermine qui est considéré comme un ‘talent émergeant’ voulait à tout prix savoir de quelle région de Chine j’étais originaire. On me demandait même si j’avais un visa, ou un petit copain britannique. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que c’est parce qu’ils ne savent pas comment ‘vendre’ un designer racisé sans le cantonner à ses origines, et que c’est plus facile pour eux de packager un créateur blanc sorti de Central Saint Martins, à qui ils ne demanderaient d’ailleurs jamais de créer des collections inspirées par leur village du nord de l’Angleterre.” S’il se refuse à jouer les tokens de la scène mode londonienne, cela ne signifie pas pour autant que Robert Wun n’aborde jamais ses origines dans ses créations. Au contraire : l’omniprésence des fleurs ultra-structurées dans ses collections depuis le Printemps-Été 2019 n’est pas seulement due à son amour pour les plantes, c’est aussi sa façon de rendre hommage à la légende chinoise de Hua Mulan (oui, la jeune guerrière cooptée depuis par Disney), dont le nom mandarin peut être traduit par bois, fleur ou – on vous le donne en mille – orchidée.