En plus de librement explorer sa passion pour les végétaux, Robert a, depuis la création de son label en 2014, eu l’occasion de voir ses pièces portées par Solange, Céline Dion, Lady Gaga, Anya Taylor-Joy, Tessa Thompson, Cardi B (dans le clip de “Money”) ou encore Róisín Murphy (pour une performance sur la BBC, en décembre dernier), de dessiner les tenues d’un spectacle du Royal Ballet de Londres (Meta, chorégraphié par Charlotte Edmonds en 2016), mais aussi de contribuer à la création des costumes d’Effie Trinket (hôtesse fantasque du District 12 de Panem, jouée par Elizabeth Banks) dans le dernier volet de la saga dystopique Hunger Games: Mockingjay Part. 2, sorti en 2015. Un job tombé à point nommé pour cet obsédé du futur, qui cite régulièrement les personnages féminins des films des sœurs Wachowski (Matrix, Cloud Atlas) ou de Ridley Scott (Alien, Blade Runner) lorsqu’on lui pose la question de ses inspirations. Car c’est bien là tout l’enjeu de la mode de Robert Wun : puiser dans le naturel pour créer des silhouettes surnaturelles, et concevoir un ensemble qui pourrait parfaitement être porté par Trinity (à qui les pièces en cuir de l’Automne-Hiver 2019 faisaient d’ailleurs directement référence) dans Matrix mais incorpore en même temps des éléments empruntés à un pétale, une tige ou une feuille. “Ce que j’adore dans les films de science-fiction, c’est cette capacité qu’ils ont à transposer les problèmes philosophiques que nous rencontrons tous les jours dans un contexte inimaginable pour mieux les aborder. Les films qui parlent d’intelligence artificielle, par exemple, sont un moyen de traiter le désir, l’ambition, ce qu’il peut y avoir de pire dans la nature humaine : notre volonté de devenir Dieu.” Pour le designer, les fringues pourraient d’ailleurs jouer un rôle similaire : “En designant des pièces qui permettent d’oublier l’espace d’un instant que l’on vit dans une société violente et traumatisante, qui transforment momentanément la personne qui les porte et changent la perception qu’elle a d’elle-même, j’ai parfois l’impression de créer de la même manière.” Autre élément au cœur du travail de Robert Wun : une détermination à se libérer du “Western gaze” porté sur la culture et la mode asiatiques, et un rejet des poncifs forcément associés à ce continent par des commentateurs occidentaux en mal de folklore et “d’exotisme” (les baguettes, les dragons, le recours systématique aux idéogrammes, les qipaos en soie…vous voyez le délire).
À ce sujet, il explique d’ailleurs avoir essuyé bon nombre de micro-agressions à ses débuts : “À un moment, c’était devenu presque impossible de trouver quelqu’un dans le milieu de la mode, à Londres, qui se fichait de savoir d’où je venais, que mon héritage n’intéressait pas. Des figures très influentes du secteur, le genre de personnes qui détermine qui est considéré comme un ‘talent émergeant’ voulait à tout prix savoir de quelle région de Chine j’étais originaire. On me demandait même si j’avais un visa, ou un petit copain britannique. Aujourd’hui, je n’ai pas peur de dire que c’est parce qu’ils ne savent pas comment ‘vendre’ un designer racisé sans le cantonner à ses origines, et que c’est plus facile pour eux de packager un créateur blanc sorti de Central Saint Martins, à qui ils ne demanderaient d’ailleurs jamais de créer des collections inspirées par leur village du nord de l’Angleterre.” S’il se refuse à jouer les tokens de la scène mode londonienne, cela ne signifie pas pour autant que Robert Wun n’aborde jamais ses origines dans ses créations. Au contraire : l’omniprésence des fleurs ultra-structurées dans ses collections depuis le Printemps-Été 2019 n’est pas seulement due à son amour pour les plantes, c’est aussi sa façon de rendre hommage à la légende chinoise de Hua Mulan (oui, la jeune guerrière cooptée depuis par Disney), dont le nom mandarin peut être traduit par bois, fleur ou – on vous le donne en mille – orchidée.