Guy Laroche par Alber Elbaz, Automne-Hiver 1997-98. Courtesy of Palais Galliera.

À travers 50 pièces issues de ses collections et de musées internationaux et tout autant de vidéos et documents d’archive, le Palais Galliera à Paris nous invite à retourner dans le futur en explorant 1997, l’une des années les plus excitantes et charnières de l’histoire de la mode.

Vous n’étiez peut-être pas né·e en 1997 et pourtant les nostalgiques Y2K vous permettent de revivre aujourd’hui cette année-là comme si c’était hier avec la nette impression d’en avoir été. Pour rappel, 1997 c’était “Wannabe“ des Spice Girls qui tournait en boucle dans nos oreilles (avec l’envie de porter des plateform shoes Buffalo), Buffy contre les vampires qui faisait naître en nous doucement mais sûrement des aspirations féministes, People magazine qui élisait George Clooney homme le plus sexy du monde ou le film Titanic et la chanson Macarena qui inondaient le monde… Côté socio-politique, 1997 était aussi bien chargée avec Chirac qui dissolvait l’Assemblée Nationale et permettait ainsi l’arrivée de Lionel Jospin à Matignon (what’s up la Gauche Plurielle ?), Lady Di qui mourait dans un accident de voiture sous le pont de l’Alma et sous les flash des paparazzi, Notorious BIG qui disparaissait assassiné dans une guerre de gangs qui gangrénait le rap game américain ou la brebis Dolly qui devenait le premier mammifère cloné de l’histoire. Voici en quelques lignes un état des lieux non-exhaustif de l’année 1997, formant le décor contextualisé dans lequel prend place l’exposition du Palais Galliera consacrée à cette année charnière. Notamment, en ce qui concerne l’industrie de la mode puisque cette dernière semble à l’époque avoir été prise d’une tachycardie soudaine.

Thierry Mugler Haute-Couture Printemps-Été 1997. Courtesy of Palais Galliera.
Raf Simons Printemps-Été 1997. Courtesy of Palais Galliera

Côté chiffons,1997 c’est l’ouverture du premier concept-store parisien digne de ce nom aka Colette, les costumes incroyables créés par Jean Paul Gaultier pour le film “Le 5e élément” de Luc Besson, ceux de Walter Von Beirendonck imaginés pour le groupe U2 sur sa tournée Popmart Tour, les chasubles et aubes signées Jean-Charles de Castelbajac pour le Pape et ses 5 500 Officiants lors de sa visite à Paris à l’occasion des Journées mondiales de la Jeunesse. Sans oublier l’assassinat hyper-médiatisé du ponte Gianni Versace devant sa villa à Miami, qui aura fini d’achever la fashion sphère, pas au bout de ses émotions. Avec le recul, 1997 apparait comme une suite d’événements annonciateurs des grands bouleversements qui paveront le nouveau millénaire. Pour Alexandre Samson, commissaire de l’exposition, responsable de collections, départements Haute Couture (à partir de 1947) et création contemporaine du Palais Galliera, “l’année 1997 est marquée par l’enchaînement frénétique des collections et défilés, des nominations, d’inaugurations et d’événements qui marquent finalement l’entrée de la mode dans la pop culture. Une jeune garde de créateur·rice·s fait ses premiers pas à la tête de grandes maisons historiques : Nicolas Ghesquière chez Balenciaga, Stella McCartney chez Chloé, Hedi Slimane chez Dior Homme ou encore Marc Jacobs chez Louis Vuitton, maison patrimoniale qui jusqu’ici ne faisait pas de prêt-à-porter. Ces nominations qui apportent du sang neuf et jeune ont été motivées par celle auréolée de succès de Tom Ford chez Gucci”.

Jean-Charles de Castelbajac, Aubes d’évêques, Journées Mondiales de la Jeunesse, 1997. Courtesy of Palais Galliera
« Scénario », du chorégraphe Merce Cunningham, dont les costumes et la lumière ont été conçus par Rei Kawakubo, créatrice de mode et fondatrice de la marque japonaise Comme des garçons. Courtesy of Palais Galliera

L’effet d’annonce combiné au mercato des nominations dignes d’un remaniement ministériel inaugure ainsi l’ère de “l’hyper-starisation des directeur·rice·s artistiques” – dans cette juste continuité des choses, la nomination du chanteur/producteur/entrepreneur américain Pharrell Williams chez Louis Vuitton n’aura finalement pas surpris grand monde. Mais c’est surtout l’arrivée à l’époque d’Alexander McQueen chez Givenchy et de John Galliano chez Dior qui met la planète mode en transe. Dignes héritiers des enfants terribles Jean Paul Gaultier et Thierry Mugler, ils forment le quatuor qui va littéralement rebooster la Haute Couture, faisant de la semaine printemps-été 1997, qui se tient en janvier, la plus médiatisée de la fin du XXe siècle, avec un rebond de 30% dans les demandes d’accréditations presse par rapport à l’année précédente – le magazine Vogue parlera en conséquence d’un véritable “big bang”, d’où le titre de cette exposition. L’intérêt pour la mode et les tendances se décloisonnent, les propositions commerciales hyper pointues se popularisent, des phénomènes comme la culture sneakers et les “it-bags” (initié par le sac Baguette de Fendi qui voit le jour cette année-là) se démocratisent. La mode investit Internet, le e-commerce est à ses balbutiements et toute une réflexion sur les corps est entamée : Raf Simons fait défiler pour la première fois des hommes frêles lors de son défilé Black Palms, loin des corps masculins huilés, bronzés et hyper sexualisés auxquels on nous avait habitué-es, Rei Kawakubo crée chez Comme des Garçons des robes aux protubérances disproportionnées et jouent sur les volumes pour mieux interroger les canons féminins de la beauté (la collection “Body Meets Dress, Dress Meets Body”), Martin Margiela conceptualise des vêtements neutre à peine achevés, en “work in progress” (la collection “Stockman”), Jeremy Scott se fout ouvertement des Rich White Women en faisant défiler des mannequins en camisole (métaphore de leur aliénation à la chirurgie esthétique) et Ann Demeulemeester imagine une garde-robe minimaliste et androgyne inspirée par la chanteuse punk Patti Smith.

DIOR par John Galliano Haute-Couture Printemps-Été 1997. Courtesy of Palais Galliera
Jean-Paul Gaultier Haute-Couture Printemps-Été 1997. Courtesy of Palais Galliera

À côté de ça, bien avant l’engouement suscité par la danse de Mercredi Addams dans “Mercredi” sur Netflix, le Belge Olivier Theyskens se positionne en figure de proue de la tendance goth avec sa collection “Gloomy Trips”, tandis que la jeune Stella McCartney impose ses convictions écologiques et du bien-être animal comme le fil rouge de ses collections chez Chloé, en bannissant déjà le cuir et la fourrure de ses collections. Werk. Mais attention. 1997 ce n’est pas que du bon à célébrer. C’est aussi une salve d’expérimentations esthétiques et créatives qui a soulevé pas mal de problématiques encore d’actualité aujourd’hui : l’esthétique “Heroin chic” réhabilitée actuellement sur TikTok (déjà lourdement remise en cause à l’époque par un Bill Clinton alors président des Etats-Unis reprochant à l’industrie de la mode de glamouriser l’addiction), le porno chic amorcé par Tom Ford et Carine Roitfeld ou encore le multiculturalisme ou brassage des cultures qui verse dans l’appropriation culturelle (et qu’on s’interdirait aujourd’hui). C’est notamment la question que pose la sublime robe kimono d’Alexander McQueen portée par Björk sur la pochette de son album “Homogenic”, accessoirisée de colliers qui font référence aux cultures ndebele et birmane, et d’une coiffure rappelant les tribus amérindiennes Tewa et Hopi. Sans cacher tout ça sous le tapis, l’exposition 1997 Fasion Big Bang au Palais Galliera a le mérite de pousser à la réflexion sur ces questions, sans justement verser dans l’insupportable “c’était mieux avant”.

Pochette de l’album “Homogenic”de Björk, dans une robe réalisée par Alexander McQueen, 1997. Courtesy of Palais Galliera
Comme des Garçons Printemps-Été 1997. Courtesy of Palais Galliera

Bonus : L’illustrateur sonore Michel Gaubert a confectionné pour l’occasion une playlist spécial 1997, à écouter gratuitement sur Spotify, Deezer et YouTube.

Exposition “1997 Fashion Big Bang”, du 7 mars au 16 juillet 2023, au Palais Galliera, 10 Av. Pierre 1er de Serbie, 75116 Paris, palaisgalliera.paris.fr