China Town. A lady lays down in the shadow under China Town structure in Austin, Texas. “Home is far away, so the only chance I get to reconnect is at the local china town. Everyone here is an immigrant. Somehow this place feels more like home.”

À travers sa série Metamorphosis, qui a reçu le prestigieux prix ZEISS Photography Award 2020, le photographe d’origine sud-coréenne Kyeong Jun Yang a documenté en quelques clichés l’histoire de Julie Chen, sa compagne d’origine chinoise venue vivre au pays de l’Oncle Sam. Un regard aussi poétique que mélancolique sur la question identitaire, l’immigration, les notions d’origines et de déracinement, mais aussi sur les transformations que sont indéniablement amenés à vivre tous les humains. D’où qu’ils viennent et où qu’ils aillent.

Kyeong Jun Yang est la preuve vivante qu’avec de la volonté, du talent et une bonne dose de pragmatisme, les rêves peuvent se concrétiser. Cet étudiant en journalisme à l’université du Texas à Austin, aux États-Unis, et photographe autodidacte, était convaincu de son talent pour la photographie. Mais il savait également qu’il allait lui falloir de la détermination et savoir tirer profit de ses années de vie étudiante. “Il y a deux ans, Julie et moi sommes allés voir une expo photo. Sur le chemin du retour, je lui ai dit que je savais que je n’allais pas pouvoir devenir photographe professionnel car je devrais gagner de l’argent sans tarder après l’obtention de mon diplôme. Je lui ai dit que je voulais faire tout ce qui était possible tant que j’étais encore étudiant, que je voulais publier un livre et exposer mes photos dans un lieu où des gens pourraient voir mon travail.” Un an plus tard, en mars 2020, Kyeong Jun Yang publiait son premier recueil photographique, préparait une exposition à Londres et remportait son premier prix, le ZEISS Photography Award. Créé en 2016, ce concours récompense chaque année des artistes internationaux pour leur esthétique unique autour d’une thématique particulière. En 2020, le sujet portait sur la découverte, dans sa dimension scientifique, sociologique, technologique ou simplement humaine. Les candidats étaient invités à explorer les révélations, les inventions, mais aussi… les transformations. 

Parents. A photo that Julie Chen took of her parents. “Filial obedience is embedded in the Chinese culture. I wanted to be me, but I couldn’t be free.”
Eyes. Julie shows one of her worst memories in middle school. “I used to hate my mono lids. They defined me before I could define myself in this foreign country. I didn’t want to stay as a foreigner.”

À travers sa série Metamorphosis, Kyeong Jun Yang raconte l’histoire de sa compagne, Julie Chen, qui avait 4 ans quand ses parents ont divorcé, puis 12 quand elle a rejoint sa mère, remariée à un Américain, pour vivre avec eux aux États-Unis. Son père, resté en Chine, lui avait promis “un meilleur environnement et un plus bel avenir” là-bas. Bruts et sans retouches, les clichés en noir et blanc racontent les pensées d’une jeune femme en quête d’identité. “J’ai commencé la série Metamorphosis peu de temps après avoir rencontré Julie. Je m’intéressais beaucoup aux questions liées aux origines, à l’immigration, qui suscitent beaucoup de débats au Texas. Seulement, on ne parle pas beaucoup des immigrés asiatiques, donc j’ai décidé de raconter notre histoire.” Née Shiqi Chen, Julie a été confrontée, dans son adolescence et encore aujourd’hui, comme beaucoup d’immigrés, au mal du pays et au regard de l’autre qui lui rappelle toujours un peu plus sa différence. Une dissemblance qu’elle a dû apprendre à apprivoiser et que Kyeong Jun Yang a mise poétiquement en lumière, par exemple à travers la photo intitulée “Eyes”. Ce cliché fait référence à un moment douloureux dans l’adolescence de Julie : “Pendant longtemps, j’ai détesté mes yeux monolides. Ils m’ont défini avant que je ne puisse me définir moi-même dans ce pays étranger. Je ne voulais pas me sentir une étrangère ici”. Le photographe a immortalisé également les marques physiques que le choc culturel a inscrites sur le corps de sa compagne avec “stretch marks”. Sans tabou, Kyeong Jun Yang y dévoile les vergetures de Julie qui apparaissent comme les vers d’un poème racontant une histoire. Celle d’une jeune femme confrontée à des différences culturelles, donc aussi alimentaires, entre son pays d’origine et son pays d’adoption. “Les mauvais moments passent aussi vite que les bons. Quand j’ai réalisé ce qui avait changé, j’ai compris que les marques sur mon corps racontaient l’histoire bien mieux que moi-même.” Quand on l’interroge, Kyeong Jun Yang insiste sur la portée non politique de sa série. Son intention n’est pas de dénoncer la xénophobie et le racisme autour de la question de l’immigration, mais de raconter les transformations physiques et émotionnelles que traverse un individu déraciné de sa culture d’origine. La dernière photographie qui conclut Metamorphosis s’appelle “Butterfly” et s’accompagne d’une réflexion de Julie sur la notion d’enracinement. “Je ne me sens pas appartenir à ce pays. La force qui m’a amenée ici est d’ordre biologique. Le manque que je ressens ne peut être comblé, je ne sais où chercher. Je suis chinoise mais pas vraiment chinoise, je suis américaine mais pas vraiment américaine.”  Des paroles qui nous rappellent que la quête d’identité, qu’elle soit sous forme de voyage ou d’exil forcé, est autant une métamorphose physique que spirituelle, indissociable de la complétude de l’être. 

Pupa. Julie lays down on the bed sleeping. “Looking through a tunnel, you can see lights from the exit but nothing of its detail. The dark feels warmer than the light when you are in here too long. The destination is presented in front of my eyes. I blinked twice, but it does not get clearer. I didn’t want to continue, hiding becomes natural when you are stuck in this state.”
Bus Ride. Julie goes to school riding a bus full of Chinese people in Austin, Texas. “Sitting in a bus full of Chinese, frankly I felt more like an American. Our differences can’t be distinguished, only to be felt.”