À travers sa série Metamorphosis, Kyeong Jun Yang raconte l’histoire de sa compagne, Julie Chen, qui avait 4 ans quand ses parents ont divorcé, puis 12 quand elle a rejoint sa mère, remariée à un Américain, pour vivre avec eux aux États-Unis. Son père, resté en Chine, lui avait promis “un meilleur environnement et un plus bel avenir” là-bas. Bruts et sans retouches, les clichés en noir et blanc racontent les pensées d’une jeune femme en quête d’identité. “J’ai commencé la série Metamorphosis peu de temps après avoir rencontré Julie. Je m’intéressais beaucoup aux questions liées aux origines, à l’immigration, qui suscitent beaucoup de débats au Texas. Seulement, on ne parle pas beaucoup des immigrés asiatiques, donc j’ai décidé de raconter notre histoire.” Née Shiqi Chen, Julie a été confrontée, dans son adolescence et encore aujourd’hui, comme beaucoup d’immigrés, au mal du pays et au regard de l’autre qui lui rappelle toujours un peu plus sa différence. Une dissemblance qu’elle a dû apprendre à apprivoiser et que Kyeong Jun Yang a mise poétiquement en lumière, par exemple à travers la photo intitulée “Eyes”. Ce cliché fait référence à un moment douloureux dans l’adolescence de Julie : “Pendant longtemps, j’ai détesté mes yeux monolides. Ils m’ont défini avant que je ne puisse me définir moi-même dans ce pays étranger. Je ne voulais pas me sentir une étrangère ici”. Le photographe a immortalisé également les marques physiques que le choc culturel a inscrites sur le corps de sa compagne avec “stretch marks”. Sans tabou, Kyeong Jun Yang y dévoile les vergetures de Julie qui apparaissent comme les vers d’un poème racontant une histoire. Celle d’une jeune femme confrontée à des différences culturelles, donc aussi alimentaires, entre son pays d’origine et son pays d’adoption. “Les mauvais moments passent aussi vite que les bons. Quand j’ai réalisé ce qui avait changé, j’ai compris que les marques sur mon corps racontaient l’histoire bien mieux que moi-même.” Quand on l’interroge, Kyeong Jun Yang insiste sur la portée non politique de sa série. Son intention n’est pas de dénoncer la xénophobie et le racisme autour de la question de l’immigration, mais de raconter les transformations physiques et émotionnelles que traverse un individu déraciné de sa culture d’origine. La dernière photographie qui conclut Metamorphosis s’appelle “Butterfly” et s’accompagne d’une réflexion de Julie sur la notion d’enracinement. “Je ne me sens pas appartenir à ce pays. La force qui m’a amenée ici est d’ordre biologique. Le manque que je ressens ne peut être comblé, je ne sais où chercher. Je suis chinoise mais pas vraiment chinoise, je suis américaine mais pas vraiment américaine.” Des paroles qui nous rappellent que la quête d’identité, qu’elle soit sous forme de voyage ou d’exil forcé, est autant une métamorphose physique que spirituelle, indissociable de la complétude de l’être.