Le meilleur ami des luttes
Mais s’il a bien libéré les corps des classes populaires, le marcel va aussi émanciper celui des femmes, avec cette fois une posture beaucoup plus politique et revendicatrice. “Je pense à Gabrielle Chanel qui piquait le débardeur de son mec et qui mettait les dessous dessus”, raconte Vincent Grégoire, directeur de création de l’agence de tendances NellyRodi. Toute la subversivité de ce vêtement repose donc sur deux aspects : le premier concerne son androgynie poussée à son paroxysme, avec en point d’orgue Jane Birkin dans les années 1970 dans le clip de “Je t’aime moi non plus” : une référence qui fera un peu plus évoluer la question féministe et celle du genre en matière de vêtement. Ce changement avait déjà commencé dans les années 1930, quand porter un débardeur blanc en signe de rébellion féministe était alors réservé à l’élite bourgeoise et artistique, notamment aux femmes comme Renée Perle, mannequin photographiée par Jacques Henri Lartigue moulée dans un marcel sans soutien-gorge. Pour Denis Bruna, “ces femmes ont permis au débardeur de devenir le symbole d’un corps féminin libéré qui vient bien sûr s’opposer à ce symbole de machisme”. Tout comme les sportives de l’époque qui bénéficient du privilège de le porter dans le but d’améliorer leurs déplacements dans l’eau et donc leur performance. C’est d’ailleurs ainsi qu’est né le terme “tank top”, “tank” désignant les bassins en argot anglais. Vous l’aurez compris, c’est bien là, en mode tee-shirt mouillé et moulant avec tétons apparents, que le marcel va augmenter son potentiel subversif en dégageant dans la culture occidentale un autre aspect beaucoup plus érotique. “Il peut être un vrai parti pris sexualisé. D’ailleurs, tout le monde n’en porte pas”.
“Par exemple, dans les cultures asiatiques on peut montrer ses jambes, mais on ne montre pas ses épaules, c’est hyper-érotique. On ne montre pas non plus son cou au Japon, parce que c’est une zone hautement érogène, poursuit Vincent Grégoire. Quand on porte un débardeur, on voit les tatouages, les seins, les piercings, le corps, la peau ! C’est bien plus osé et plus trash qu’un tee-shirt.” Un imaginaire hard, kinky et revendicatif qui a particulièrement plu et convenu à la scène LGBTQIA+, comme nous le rappelle Denis Bruna lorsqu’il retrace l’histoire du marcel dans la culture queer : “Dans les années 1970, à San Francisco, le débardeur est devenu une tenue de ville, investi par la communauté homosexuelle, où il s’est imposé sur le dos du queer butch gay avant d’être récupéré plus tard par la scène lesbienne. Ce n’était plus le dessous que l’on portait sous la chemise, c’est devenu un vêtement avec lequel les gays se distinguaient, pour mettre aussi leur corps très musclé en avant. À l’époque, la culture physique du body-building est à la mode dans la communauté gay, et le débardeur devient une façon d’exhiber son corps”. Pour l’historien, c’est aussi une façon de renouer avec les origines du débardeur tout en détournant ses codes : “Sur les pochettes de disque des Village People en 1979, la figure de l’ouvrier est en marcel. Il porte son habit d’origine, qui est aussi un vêtement emblématique pour montrer son corps”. La boucle est bouclée ? Presque.