Mugler Pre-fall 2024

Célébrant les sexualités sortant de la norme, le kink s’échappe des soirées fréquentées par ses initié·e·s afin d’envahir les podiums et la culture mainstream. BDSM, jogging, lycra, dentelles : le kink arbore une table des matières exhaustive qui laisse libre court à tous les fantasmes, tout en érigeant le consentement comme valeur première. Au travers de témoignages d’adeptes, décryptage d’une esthétique et d’une pratique bien plus inclusive qu’il n’y paraît.

Lorsque Léna Situations invite la rappeuse Shay à la rejoindre en Janvier dernier pour l’enregistrement de son podcast Canapé six places, les deux célébrités se retrouvent, sans le savoir, avec une même garde-robe tout en vinyle noir tendance dominatrice signée Courrèges. Un vestiaire qui emprunte ses codes à l’esthétisme BDSM que l’on retrouve aussi dans les collections Printemps/Été 2024 de l’américain Chet lo dont les looks s’inspirent du shibari, une pratique de bondage japonais. Lors de la dernière fashion week masculine, ce sont les hommes qui défilent en collant noir chez JW Anderson. Un choix qui n’est pas anodin pour le créateur Londonien qui avoue que “les collants font office de seconde peau, et peuvent même devenir un kink”, comprenez une matière qui crée une excitation et suscite un désir sexuel.

À la différence du fetish, dont l’excitation n’est provoquée que par une matière ou une situation bien précise, le kink célèbre la diversité : le désir devient multiple et évolue avec le temps, s’adaptant au rythme des partenaires et de nos envies. Un réseau social est même dédié à cette pratique, Fetlife, sur lequel plus de 11 000 adhérents du monde entier échangent leurs fantasmes…y compris ceux les plus WTF. Ainsi, il y a quelques semaines, le très sérieux Washington Post publiait un article sur un nouveau kink dont raffolent certains américains : l’humiliation politique. Une pratique que l’on retrouve sur le site Fetlife dans la rubrique “conservatrice sexy fait pleurer un démocrate”. Le concept ? une pro Trump insulte à tout va un démocrate de gauche afin de lui prouver qu’il n’est qu’un naze et que les vrais boss sont les Trumpistes. En clair, c’est un peu comme si une membre du fan club de Jordan Bardella excitait un partisan de la France insoumise en l’insultant afin de le convaincre de glisser un bulletin en faveur du jeune politicien qui abuse de la gomina. Cela vous provoque un émoi ? Profitez-en, on ne juge pas.

Kink me I’m famous

 

Troye Sivans, l’été dernier, déclare au micro d’Emily Ratajkowski qu’il s’adonne désormais au kink positif, réalisant ainsi que le sexe peut avoir “un côté hilarant” et qu’il ne faut pas le prendre trop au sérieux : “Si une pratique me parait ridicule, pourquoi pas l’essayer ?” Longtemps moqué, le kink célèbre aujourd’hui toutes les sexualités sortant de la norme. Assumer ses fantasmes devient trendy, et nous sommes dorénavant invité·e·s à partager (et à assouvir) nos désirs. Ainsi, des soirées parisiennes au nom évocateur comme Kink me, la Monarch ou la Démonia ont fleuri ces derniers mois, reprenant pour modèle certaines fameuses soirées kink à la renommée internationale comme la “Kinky Gerlinky”. Organisée dans dans le West End de Londres dans les années 90, cette soirée unique en son genre , qui voyait se croisait le gratin de la mode de l’époque (Naomi Campbell, Vivienne Westwood) aux adeptes du kink, vient récemment de faire l’objet d’un documentaire avec des images d’archives remasterisées par le réalisateur Dick Jewell.

L’occasion de voir que les codes avec les soirées qui se déroulent actuellement à Paris à n’ont pas changé : ici, le public est invité à s’y présenter le moins vêtu possible, dans un outfit dans lequel iels se sentent désirables. Combi de cuir et harnais pour les un.es, jogging lycra et TN aux pieds pour les autres, la palette des fantasmes joue la carte XXL, comme le confirme Lenny, à la tête de Replicant Events, organisateur des soirées Forensics qui ont lieu à la machine du Moulin Rouge : “Tous les kink sont couverts dans notre soirée. Il y a des cages, des balançoires et la nudité est autorisée. On peut venir en maillot de cycliste, en dentelle, en maillot de lutte ou avec un masque de chien, tout est possible, en assurant bien sûr la sécurité du public pour faire de nos soirées un espace totalement safe qui respecte le consentement de chacun”. Une zone de liberté qu’aime fréquenter Wade, parisien de 27 ans : “J’ai toujours été attiré par les sexualités hors normes, déjà, lorsque j’étais ado, mes pratiques avec mes copines de l’époque sortaient des conventions. J’étais curieux de connaître d’autres manières de faire l’amour.”

images d’archives de la Kinky Gerlinky (crédit : Dick Jewell)
images d’archives de la Kinky Gerlinky (crédit : Dick Jewell)

On peut le voir, sur Instagram, arborant un look qu’il qualifie de cyber kitty, un kink faisant partie de la catégorie pet play et qui tourne autour de l’esthétique des animaux domestiques : “Au début, j’étais sur des accessoires de chat très traditionnel, des oreilles, des crocs, ou des lentilles violettes. J’ai récemment customisé les looks afin de les rendre plus cyberpunk, en arborant un masque qui me cache le bas du visage et un gilet d’inspiration militaire, ce qui me donne un côté plus ambigu que lorsque je suis en full chat, moins en position d’être dominé”. Le jeune homme, qui se déclare bi, profite des soirées sexpo (sex positive) afin d’explorer sa sexualité et les kink qui vont avec : “Je recherche surtout un cadre et une ambiance, la liberté de pouvoir m’habiller comme je le veux, avec ou sans vêtement. Je m’y sens en cohésion avec le reste du public et en sécurité. Si on se retrouve à cette soirée, c’est qu’on partage les mêmes valeurs, il n’y a pas de mise à l’écart”.

À l’heure où l’esthétique kink et l’inclusivité deviennent un élément marketing (coucou Kylie Jenner qui s’approprie les codes du kink pour le lancement de sa marque de vêtements Khy), dans les faits peu de soirées peuvent se vanter de regrouper toutes les formes de sexualités et de genres : “Cela peut être très compliqué pour certaines personnes gays de se sentir à l’aise avec des couples hétéros” analyse Lenny, “La communauté gay masculine a pris l’habitude de se rassembler dans des lieux de cruising entre homme cis, et c’est aussi très difficile de faire venir les personnes queer, trans ou non binaires afin qu’ils se sentent à l’aise autour d’un public cis. Je pense que nos soirées ont réussi ce pari car elles rassemblent tout type de profil”. C’est aussi pour garder cette inclusivité et assurer une sécurité optimale que Lenny limite le nombre de participant·e·s à 1500, alors que d’autres soirées parisiennes en accueillent le double. Un de ses autres event, L’Annihilation, qui se déroule aux caves Saint-Sabin, n’accueille quant à elle que 300 personnes : “C’est une vraie soirée queer, mes amies trans m’ont d’ailleurs confié qu’elles se sont rarement senties aussi safe que dans cette soirée. On y croise aussi bien des femmes puppies que des personnes gays”.

Savoir aimer

 

Le monde du kink serait-il le paradis que l’on n’attendait plus ? “Dans l’idée, l’inclusivité est là. Mais il ne faut pas idéaliser le milieu en pensant que tout le monde se respecte” confie Lou, une parisienne de 28 ans adepte des soirées kink. “En tant que meuf, tu peux tout de même subir des agressions. Je me suis déjà retrouvée dans une soirée parisienne dans laquelle un inconnu est arrivé pour me toucher les seins alors que nous n’avions rien échangé auparavant : cela s’appelle une agression sexuelle”. La jeune femme découvre le kink à 23 ans, lorsque son ex partenaire bisexuel lui propose de s’adonner à d’autres formes de plaisirs, “J’étais, au début de ma sexualité, plutôt dans des modèles monogames et hétérosexuels, pratiquer le kink m’a fait découvrir une autre sexualité, assumer le fait d’être bi et polyamoureuse”. Désormais, Lou assume ses désirs et ouvre à sa sexualité le champ des possibles : “À la base, je suis plutôt soumise, mais je teste de plus en plus la domination. J’adore donner des coups de fouet et je pratique aussi le pegging, le fait de porter des godes ceintures et de m’en servir sur des mecs comme des meufs. Tout dépend de mon humeur, je n’ai pas un kink en particulier, je touche à tout!”.

Mais toucher à tout ne signifie pas avec n’importe qui, et force est de constater que la culture du consentement a encore du mal à s’imposer dans notre vieille France (qui invente des concepts aussi sexistes que nauséabonds comme “la liberté d’importuner”.) Lou préfère alors se tourner vers l’Allemagne, pays dans lequel elle trouve des soirées kink vertueuses, et respectueuses : “Je me trouvais au Kitkat club, il y avait des hétéros, des gays et des bi, et les règles de consentement étaient indiquées de manières très explicites, comme le fait d’interdire de se masturber devant un couple sans leur demander l’autorisation au préalable. Je suis déjà allé me plaindre d’un mec qui m’a touché sans mon consentement et ils l’ont sorti direct. C’est pour ça que j’aime sortir en France dans les soirées organisées par des collectifs allemands, comme lors des soirées Forensics qu’ils organisent avec les allemands de Pornceptual, car la sécurité est réellement visible”.

Mugler Pre-fall 24
Courrèges menswear FW24

Et si Lou préfère, aux yeux de certains proches, rester discrète quant à ses pratiques intimes, elle remarque tout de même que les codes du kink s’imposent de plus en plus dans la culture mainstream, à l’image de diverses campagnes de mode (la collection Pre-fall 2024 de Mugler ou la collection menswear FW24 de Courrèges), voire de certaines séries Netflix : “Je me souviens d’un épisode d’Emily In Paris dans lequel les comédiennes arborent des costumes très kink en cuir. On reproduit souvent ces looks de domina, mais est-ce que cela veut vraiment dire que les meufs contrôlent leur sexualité et leur corps ou est-ce juste encore un moyen d’objectification par les hommes ? L’industrie de la mode et de l’entertainment aime s’approprier cet esthétisme, mais lorsqu’on regarde qui se trouve à la tête des maisons de couture on s’aperçoit que ce sont bien souvent des mecs”. Alors autant prendre exemple sur des gos qui allient parfaitement symbolisme et esthétisme kink, à l’image de la rappeuse féministe Shay sur la pochette de son nouvel album “Pourvu qu’il pleuve”. En vrai, niquer le patriarcat n’a jamais été aussi kink !