ÉCONOMIE, CAPITALISME ET EXPLOITATION
Mais, pendant que les professionnels opèrent un grand écart douloureux entre deux réalités coexistantes, l’industrie de la mode et son économie poursuivent l’offensive politique en incitant les pays d’Europe à refuser les sanctions à l’encontre de la Russie concernant les produits de luxe. En effet, le 25 Février, le journal anglais Telegraph révélait que le premier ministre italien, Mario Draghi, aurait obtenu que les produits de luxe italiens soient exclus des sanctions commerciales contre la Russie afin de préserver les ventes et la clientèle d’oligarques. Une information qui n’a pas échappé aux utilisateurs de Twitter, qui se sont empressés de dénoncer cet accord dans les commentaires du post du défilé « Exquisite Gucci », marque italienne du groupe Kering, sur la plateforme. La mode (en tant que somme des professionnel.le.s qui la composent) s’associe douloureusement à un phénomène qui l’incorpore (le capitalisme et le pouvoir) et à un évènement qui la dépasse (la guerre) pour continuer d’exister quoi qu’il en coûte de sa crédibilité et ce malgré la ré-affirmation d’un goût pour le spectacle inhérent aux activités de mode. Parce que, ironiquement, les discours de mode apparus ces derniers jours semblent découvrir la brutalité paradoxale de son système. Poster pour exister en temps de crise devient un débat malhonnêtement soudain, théâtralisant l’omission du fait que la mode provoque et traverse une crise permanente.
Les victimes de mode, qui risquent leur vie pour son sytème de production, représentent une catastrophe sociale et écologique quotidienne qui n’a pourtant jamais côtoyé les prises de parole publiques. Quant à la guerre en cours en Ukraine, elle devient un conflit particulièrement médiatisé par la mode, incitant à questionner l’absence de communication et positionnement similaires face aux autres guerres passées et actuelles qui impliquent des populations non blanches et non occidentales ou européennes (guerres en Irak, Syrie, Afghanistan, Mali…). Une hiérarchie des problématiques involontairement révélée par les prises de positions des professionnels, tandis que l’économie de la mode poursuit sa bataille capitaliste, préservant ses objets de luxe, défiant la moralité humaine. La mode qui promet, souvent à raison, à ses spécialistes une vie dans un monde parallèle et déconnecté fait de gloire et de sequins se retrouve toute entière confrontée à la dure réalité d’un monde globalisé, dans lequel les connexions humaines se font en un clic. Dans lequel l’empathie est en pixels et les affects sont dématérialisés, sans frontière. Le 21ème siècle n’apprend pas seulement à la mode à se connecter au monde. Il lui apprend surtout que la plupart de celles et ceux qui la composent, à la fois maîtres et victimes de son fonctionnement, ont développé une capacité d’humilité sur laquelle l’industrie toute entière va devoir s’accorder.