La collection Untitled de la gagnante du Grand Prix Première Vision : Jenny Hytönen

Pour sa deuxième édition post-covid organisé à la mi-octobre, la 37e édition du festival de mode, de photographie et d’accessoires de Hyères a vu les choses en grand avec de nouveaux partenaires et davantage d’évènements. Retour sur une édition dense, forte en surprises et en émotions. Récap en 5 points.

1. LES HIGHLIGHTS DU PALMARÈS
Jenny Hytönen Hyères 2022.

Dimanche 16 octobre, lors de la cérémonie de clôture du festival, les différents jurys mode, photo et accessoire ont rendu leur verdict. Côté mode, c’est la finlandaise Jenny Hytönen qui a été consacrée par le jury présidé par Glenn Martens (Y/Project, Diesel) en remportant le Grand Prix du Jury Première Vision. Mais cette dernière a aussi remporté le Prix du Public. La jeune créatrice de 25 ans, diplômée de l’University School of Art, Design and Architecture d’Aalto en Finlande, a été récompensé pour sa collection unisexe Untitled, un mélange de “tricot et de BDSM”, comme elle l’a elle-même qualifiée. Avec ces prix, elle obtient (attention, ça déroule) : une bourse de création de 20 000 euros remise par Première Vision et d’une visibilité lors du salon de Paris en février. Mais aussi d’un projet de collaboration avec les Métiers d’art, à hauteur de 20 000 euros, de la création d’une collection capsule incarnant les valeurs d’inclusivité et d’accès à la création défendues par les Galeries Lafayette, d’un soutien dédié de la CELC avec notamment une dotation de matière première en lin européen pour une ou plusieurs silhouettes pour aider le gagnant du Grand Prix du Jury Première Vision dans le développement de sa future collection.

Valentin Lessner Hyères 2022.

L’autre grand gagnant mode de cette 37e édition, c’est l’Allemand Bavarois Valentin Lessner (notre favori chez Mixte) qui a remporté le Prix Le 19M des métiers d’art ainsi que le Prix de la collection éco-responsable Mercedes-Benz grâce à une collection masculine aux influences rappelant du Margiela ou du Y/Project. Bref, une collection conceptuelle et extrêmement moderne, contemporaine, et formidablement confectionnée avec un tailoring abouti et un choix de matières inventif. Avec le prix 19M des métiers d’art, prix créé en 2020 par le Grand Partenaire du festival qu’est CHANEL, Valentin Lessner reçoit une dotation de 20 000 euros pour la réalisation d’un nouveau projet de création avec les Maisons d’art de son choix, qui sera dévoilé lors de la 38e édition du festival. Avec le Prix Mercedes Benz, qui a l’ambition de faire progresser le luxe responsable, le créateur reçoit une bourse de 20 000 euros offerte par Mercedes-Benz. On se fait pas de soucis, ça va rouler tranquille pour lui.

Rala Choi Hyères 2022.

Côté photo, c’est la photographe coréenne Rala Choi qui a remporté le grand prix du jury photographie présidé par Pierre Debusschere ainsi que le prix du public. Rala Choi a séduit tout le monde avec sa série photo donnant des illusions de peintures, immortalisant une jeune femme face à la mère, dont l’esthétique rappelle vivement l’oeuvre de Caspar David Friedrich. Parmi les récompenses, la photographe sera exposée à Paris du 13 janvier au 23 février prochain à la Sheriff Gallery à Paris. Elle aura aussi l’opportunité de réaliser une des prochaines campagnes de la marque italienne Bottega Veneta, nouveau partenaire du festival. Andiamo !

2. LES PHOTOS ENVOÛTANTES DE SARAH MAKHARINE
Sarah Makharine “Endless Summer”, Hyères 2022

Pour cette 37e édition, le festival a commandité la photographe française Sarah Makharine pour réaliser la série “Endless Summer”, mettant en scène les artistes invité·e·s au festival (Nick Coutsier, Pomme, La Famille Maraboutage…). Une série à la summer vibe indéniable célébrant une multitude d’identités, de personnalités et de corps dans une ambiance de contemplation, de douceur et de dolce vita inspirante et réconfortante, proche de la personnalité de la photographe. Un choix judicieux pour faire part du charme connu et reconnu de ce festival du sud de la France ouvert sur le monde puisque comme l’explique le communiqué de presse de la Villa Noailles, le travail artistique de Sarah “mélange l’utilisation de supports argentiques et numériques, notamment compacts pour être au plus proche de son sujet : l’humain. Elle déconstruit les préjugés et la sexualisation des corps en allant à la rencontre de femmes et d’hommes anonymes, isolés et souvent invisibilisés par la société et les religions ; elle capte leurs corps, leur regard et leur voix qu’elle confronte à ceux de son public par le biais de ses installations”.

Sarah Makharine “Endless Summer”, Hyères 2022
Sarah Makharine “Endless Summer”, Hyères 2022
Sarah Makharine “Endless Summer”, Hyères 2022

Pour info, Sarah Makharine, après dix années d’expérience dans la production audiovisuelle en tant que directrice artistique, a fait une reconversion professionnelle et a candidaté au concours de l’école Kourtrajmé qu’elle a intégré en section Art et Image sous la direction de JR en 2020-2021. À l’époque, elle se fait remarquer pour ses travaux d’études qui mélangent séries photographiques, vidéo et pièce sonore telles que Papa 2020 sur l’intersection des genres, Le Mikve où elle interroge la place de la femme dans les religions et développe des projets personnels engagés sur la place des femmes dans les communautés patriarcales. La première belle surprise du festival.

3. LA PRESTATION MAGISTRALE DE NICK COUTSIER
Nick Coutsier au Festival de Hyères 2022 / Photo : Maryam Kaba.

L’un des moments les plus forts et les plus émouvants du festival reste sans doute la prestation du danseur contemporain belge Nick Coutsier. Proche de la Villa Noailles (on sait qu’il y a déjà passé des petits week-ends entre ami·e·s…), Nick a été engagé cette saison pour produire et performer une chorégraphie de sa propre création le troisième jour du festival. Au passage, si vous ne connaissez toujours pas Nick, vous passez vraiment à côté d’un des danseurs les plus doués et les plus prolifiques de sa génération. D’ailleurs, si vous voulez en savoir un peu plus sur lui, on vous invite vivement à lire le portrait qu’on avait réalisé à son sujet dans le numéro Utopia de Mixte sorti en septembre 2020. Un portrait dans lequel on vous explique qu’il a notamment travaillé avec Sidi Larbi Cherkaoui, Marine Serre, le Ballet Royal de Flandre ou encore Beyoncé (rien que ça).

Autant dire qu’avec cette liste de collaborateur·rice· s de renom qui ont déjà fait appel à lui, on ne pouvait s’attendre qu’à une performance remarquable de sa part. Et encore, le mot est faible. On pourrait aussi qualifier cette dernière d’hypnotisante, inspirante mais surtout de bouleversante. Car pour sa prestation, Nick a choisi une chorégraphie itinérante dans les jardins de la Villa Noailles interrogeant son rapport à la virilité, à la masculinité, à la fragilité mais aussi à sa volonté de se libérer d’un certain carcan social.

Tout a commencé sur une cloche installée sous l’ancien pigeonnier de la Villa. Là debout, les membres inférieurs immobiles, il a commencé à contorsionner uniquement le haut de son corps, à s’enlacer, à se cambrer, rentrant petit à petit dans son personnage avec un râle et un souffle prenant et intriguant — comme s’il entrait en transe — avant de taper dans ses mains, de descendre de la cloche et d’entamer, recouvert d’un long drap rouge diaphane, une marche itinérante qui invitait littéralement le public à le suivre dans son évolution créative.

Et c’est là, sur une estrade rouge installée sur le parvis de la Villa Noailles (qui offrait par la même occasion une vue imprenable sur la mer et la ville de Hyères, avec en option une lumière magnifique offerte par le début de la golden hour), que Nick a commencé à devenir plus énergique, bougeant un peu plus toutes les parties de son corps sur un audio reprenant un discours de l’artiste et activiste américain·e non-binaire Alok Vaid-Menon, connu pour militer et éduquer sur le racisme, les questions de genre et la culture queer. Puis histoire de finir en beauté pour la dernière partie de sa performance, Nick a fini dans une explosion de mouvements libérateurs et exultants mêlant hip-hop et contemporains sur le morceau Gangsta’s Paradise de Coolio. Inutile de vous dire que la foule présente, transportée par l’intensité de la performance, a fini en larmes avant de lui offrir une standing ovation. On a encore du mal à s’en remettre.

4. LE “SCANDALE” DES SCULPTURES GONFLABLES DIESEL
Sculptures Gonflables de Diesel, Hyères 2022 / Photo : Pascal K.Douglas

Un festival sans scandale, ce n’est pas un bon festival. Ça rajoute de la sauce, sinon on pourrait trouver ça un peu trop fade. Cette année, Glenn Martens, président du jury mode et directeur artistique (entre autres) de la maison Diesel, a fait installer plusieurs sculptures gonflables monumentales à la Villa Noailles et dans le centre de la ville de Hyères (place Clémenceau). Des installations artistiques semblables à celles aperçues lors des derniers shows Diesel à Milan et qui représentent des personnes aux poses suggestives (dont un homme torse nu en jean cambré en mode levrette avec un string noir qui dépasse du pantalon. Mood).

Il n’en fallait pas plus pour créer le débat et scandaliser une bonne partie de la classe politique conservatrice locale, à l’image de l’adjoint à la culture de la ville François Carrassan qui a déclaré : “On peut ainsi être reconnaissant à la Villa Noailles d’avoir un instant pollué la place Clemenceau avec une vaste boursouflure, modèle de vulgarité, au service d’une marque de fringue. La preuve que le mauvais goût existe”. Avant d’ajouter, une fois que deux autres personnages ont été installés sur le toit de la Villa Noailles : “Deux autres poupées géantes sont apparues sur le toit de la Villa, et j’ai compris que c’était pire. Que tout ça était le truc des derniers défilés de la marque. Dans une ambiance ‘porno soft’. Une ambiance connue de la Villa, où il arrive que les fantasmes tiennent lieu de culture…”.

Sculptures Gonflables de Diesel, Hyères 2022 / Photo : Pascal K.Douglas
Sculptures Gonflables de Diesel, Hyères 2022 / Photo : Pascal K.Douglas

Pour finir, dans la nuit de samedi à dimanche, les fameuses “poupées gonflables” posées sur le toit de la Villa ont été vandalisées. Un acte qui a déclenché la colère de Pascal Moreau, la présidente de la Villa. Avant le début de la cérémonie de remise des prix, elle ne sait pas gênée pour faire part de son coup de gueule : “Nous avons pendant 4 jours célébré la jeune création, la beauté et l’amour, et cela doit résister aux attaques… [Ceci est] une attaque contre le centre d’art, contre la famille des artistes, contre les acteurs du monde de la culture, qui s’engagent pour l’ouverture aux autres. Malgré la destruction des œuvres de Glenn Martens cette nuit, nous sommes là et nous le serons toujours. Pour la défense de la culture.” Preach girl !

5. LES PERFORMANCES RENVERSANTES DE MARABOUTAGE
La Famille Maraboutage au festival de Hyères 2022

Signe de cette édition exceptionnelle, le festival a pour la première fois décidé d’organiser avant les fameux défilés des finalistes mode (vendredi soir et samedi soir), une performance de 30 minutes, histoire de chauffer et faire patienter le public et les invités. Et c’est nul autre que la Famille Maraboutage, collectif musical pluridisciplinaire originaire de Marseille composé de Djs, artistes, danseur·se·s et performeur·se·s célébrant les cultures afro-descendantes, qui s’est chargé de retourner l’assemblée. Entre énergie débordante, chorégraphie démentes et playlist “on point” mêlant shatta, dancehall, zouk, amapiano, kompa ou afrobeats, la famille maraboutage a réussi à créer un moment unique de communion intergénérationnel et a résolument mis le feu au festival.

Il faut aussi rappeler que Maraboutage, qui avait déjà retourné l’after-show Jacquemus après son défilé aux Salin-de-giraud à Arles en juin dernier, a une nouvelle fois décoincé une bonne partie de la planète mode en performant une troisième fois à la soirée de clôture du festival organisée à l’aéroport de Toulon-Hyères. L’une des meilleures fêtes que le festival ait jamais connu, si on en croit les retours et les témoignages des habitué·e·s. Bref, ils·elles ont dead ça. Period. Et pour ça, on peut clairement remercier Saïd Berkane, le tout nouveau Secrétaire Général de la Villa Noailles qui a eu la bonne idée de glisser le nom de Maraboutage dans le creux de l’oreille des membres décisionnaires de l’équipe du festival. Il avait sûrement dû voir notre sujet sur la Famille Maraboutage qu’on avait réalisé dès 2020 dans les pages du numéro Mixte : Utopia. Certes, on était précurseur sur ce coup-là (comme souvent), mais les bons plans, ça se partage. No shade.